Jean Prouff vu par Raymond Keruzoré

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Sur les rectangles verts, les deux hommes se sont connus pendant seize ans. Qui mieux que Raymond Kéruzoré, ancienne gloire du Stade Rennais F.C., pour évoquer la légende Jean Prouff ?



M. Keruzoré, vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Jean Prouff ?
La première fois où j’ai vu Jean Prouff, je venais de signer au Stade Rennais F.C. et je jouais en amateur. Je l’ai croisé dans les couloirs du stade, son bureau était sous la tribune et il m’a fait une impression énorme. Il était costaud. Il était en survêtement. C’était un vrai athlète. Il ne faisait pas loin d’1m80, très costaud. Il avait un rayonnement naturel. C’était ça Jean Prouff au départ. Il ne parlait pas beaucoup mais quand il lâchait quelques phrases, c’était toujours impressionnant. C’est un personnage que l’on cernait facilement mais qui était quand même un peu énigmatique.

Il pesait chaque mot ?
Il se confiait après les victoires, mais avant un match, il était avare de mots. Il donnait trois ou quatre phrases. Ce n’était pas des longs discours mais il savait sur quoi s’appuyer. Il reconnaissait tout de suite les leaders de l’équipe.

Il y a d’ailleurs une anecdote incroyable quant à ses capacités d’athlète…
Oui, pour sa première sélection en Équipe de France, il avait fait Rennes-Paris en vélo avec un seul arrêt en cours de route, en deux jours.

D’un point de vue personnel, quel rôle a-t-il joué votre carrière ?
Lors de ma première année, j’étais surtout bien concentré sur mes études. La deuxième année, il m’a appelé dans son bureau, c’était avant d’aller à Metz pour un match. Il me dit : « Raymond, je suis sûr que vous allez vous en tirer parfaitement. » J’ai mis le pied à l’étrier tout en continuant mes études. La saison suivante, j’ai fait plus de matchs en pro. Il a toujours eu confiance en moi et je suis devenu titulaire petit à petit. J’ai alors arrêté mes études. Il aimait bien mon style de jeu. Dans les clubs où je suis passé en tant qu’entraîneur, je voulais faire passer une certaine idée du jeu, qui était aussi celle de Jean Prouff. Mais quand le club ne partageait pas ses idées et les méthodes, il me fallait inonder le club, la réserve, chez les jeunes à la formation, de mes idées. Monsieur Prouff m’a énormément aidé dans ce sens.

En quoi cet homme fait pour le football ?
Il avait l’esprit collectif. Il partageait tout avec tout le monde. Quand il voyait les joueurs heureux, il était heureux. Il était fait pour le sport collectif même si sa force physique et ses aptitudes cardiaques auraient pu lui permettre de faire un très bon coureur de 800 mètres ou 1500 mètres.

Quel tacticien était-il ?
Il s’est inspiré d’Anderlecht, il jouait en 4-2-4. À l’époque, c’était le passage entre le marquage individuel italien d’Helenio Herrera et le 4-2-4 promu en Belgique, à Anderlecht, par un des frères Sinibaldi que Monsieur Prouff avait connu à Reims. Il voyait très bien le football, il analysait très bien mais ce n’était pas un grand adepte du tableau noir.

Combien de temps vous êtes-vous côtoyés ?
À Rennes, on s’est connu sept ans, à Guingamp, cinq ans. Ensuite, un an à Brest, puis encore trois ans à Rennes.

L’hommage rendu à Jean Prouff grâce à cette statue est à la hauteur du personnage ?
Il n’y a qu’à voir les coupes de France de 1965 et 1971 remportées sous ses ordres. Avant que Jean Prouff n’arrive en 1964/1965, Rennes était mal classé. Il gagne la coupe. De nombreux joueurs qui ont évolué sous ses ordres sont devenus internationaux, Daniel Rodighiero, Marcel Loncle, Robert Rico, André Betta, Marcel Aubour. Les internationaux s’adaptaient à sa conception, et ceux qu’il promouvait devenaient internationaux. On voit là la patte des grands.
 

 

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