Artiste sculptrice depuis 2005, Annick Leroy a été choisie par le Stade Rennais F.C. pour la réalisation de la statue de Jean Prouff, dans le cadre des 120 ans du club.Rencontre avec celle qui, par ses mains, a redonné vie à l’un des plus grands bâtisseurs du club.
Madame Leroy, comment est née cette idée d’inviter Jean Prouff en tribune ?
Ça a été un peu évasif au départ puis on m’a rappelé pour me dire que ma candidature intéressait. J’ai été contente. L’idée vient de Jacques Delanoë (ndlr : Président du Conseil d’administration du Stade Rennais F.C.). J’ai un peu insisté pour le côté arrêt sur images et vivant. C’est-à-dire, son attitude un peu éberluée de ce qui se passe sur le terrain. C’était ma petite touche, d’ajouter quelque chose de dynamique. Il y a un gros travail d’observation pour bien retrouver sa morphologie, sa carrure, son côté sportif... Il écarquillait souvent les yeux, il était très expressif de visage, la façon dont il croise les mains, son imperméable… des tas de petites choses qui sont des observations de photos.
Son côté expressif fait-il de lui un bon modèle ?
Personne n’est facile car chaque visage est différent dans les proportions et les expressions. Ce n’est jamais la même chose. Ce qui est bien, c’est que j’avais une bonne documentation photographique. On m’a donné des bons clichés avec de bonnes définitions. Par recoupements entre différentes photos, j’ai réussi à bien comprendre la forme de sa bouche ou même la dentition, les oreilles, l’implantation des cheveux. C’est un peu un jeu de déduction pour obtenir quelque chose de vraiment reconnaissant.
« J’aime bien le côté arrêt sur image. »
Cette œuvre se démarque des standards du football où l’on retrouve des personnages en position debout sur les parvis de stade…
J’aime bien le côté arrêt sur image. Typiquement, un footballeur en plein élan, c’est quelque chose que je trouve assez intéressant. Alors que la sculpture traditionnelle représente des personnages dans des attitudes assez figées, on peut renforcer les bronzes et faire des grands déséquilibres. La technologie actuelle nous aide pour ça. On peut vraiment jouer avec le mouvement.
Combien de temps a-t-il fallu pour confectionner la statue ?
Avant de commencer, je suis venu à Rennes pour rencontrer Romain Danzé et Jacques Delanoë, voir son futur emplacement, tous les aspects techniques et l’idée qu’il y avait derrière. Normalement, il faut six mois pour faire une sculpture. Là, on l’a faite en trois mois. On a été très mobilisés. J’ai sculpté pendant trente jours non-stop.
Crédit vidéo : Annick Leroy / Stade Rennais F.C.
Comment se passe la fabrication ?
Pour la création, j’ai un modèle. Il y beaucoup plus de vérité quand on travaille avec un modèle humain, au niveau anatomique. Il ne faut pas faire d’erreurs. Je représente d’abord la statue nue, puis je mets les vêtements dessus. Ça colle à la peau donc c’est plus facile de travailler comme ça, pour moi en tous cas, que de tâtonner, d’enlever et ajouter de la matière à gauche, à droite. Je fais le modelage en terre. Puis il y a l’étape du moulage en élastomère que réalise la fonderie. Dans ce moule en silicone et plâtre, on coule des cires pour faire des bronzes à la cire perdue. Cette fonderie est située à trois kilomètres de chez moi. C’est une grosse fonderie d’art, au point sur le plan technologique.
Combien de kilos fait-elle ?
Je pense que la structure en terre fait 180kg au départ. Il y a à l’intérieur une structure en fer à béton. Il faut quelques jours pour fabriquer un squelette en fer à béton et le mettre dans la bonne position. Au final, elle fait autour de 120kg. Il a voyagé avec moi, à l’arrière de la voiture ! (rires)
« Jean Prouff est là pour quelques centaines d’années. »
Pourquoi utiliser le bronze ?
On a toujours des bronzes de l’époque romaine, grecque ou chinoise, extrêmement anciens. Et un bronze, s’il y a une malfaçon ou un coup, ça se répare. Jean Prouff est là pour quelques centaines d’années. Il durera peut-être plus longtemps que le Roazhon Park (rires).
Des milliers de supporters le côtoieront désormais au Roazhon Park. C’est une fierté ?
Je ne suis pas passionnée de football mais je connais les succès du Stade Rennais dans les années 60 et 70 en Coupe de France. Le club reste une référence. Cette statue, je trouve ça sympathique car c’est un personnage qui a été une figure du club, que tout le monde connaît. C’est une deuxième vie pour lui. C’est lui redonner un contact avec le public. Je suis contente d’offrir un témoignage comme ça. Quand je crée, je rentre dans la vie des personnages. Je lis des documents ou alors je regarde des films. J’essaie de transmettre le plus possible ce qu’ils ont été.
Comment avoir fait de votre passion votre profession ?
Quand j’étais petite, je faisais des petites danseuses en terre. J’ai toujours été passionnée de sculpture. J’ai failli être architecte. Dès que j’ai pu, je n’ai plus fait que ça. C’est mon métier depuis 2005. Avant, j’ai eu une autre vie. J’ai eu une longue carrière d’informaticienne, je travaillais dans un laboratoire de recherche. Un jour, j’ai suivi ma vocation. Quand j’ai cherché à me former, j’ai rencontré une Américaine qui était professeur au New York Academy of Art. Elle avait une très bonne méthode. J’ai assez vite été son assistante en France, car elle est d’origine française, puis j’ai utilisé sa méthode. C’est une méthode très analytique qui me permet de bien respecter l’anatomie, d’avoir un beau modelé. Je suis vraiment orientée sculpture figurative et ce qui m’intéresse beaucoup, c’est le mouvement. Après avoir fait de la céramique, je me suis très vite orientée vers le bronze. C’est plus durable et plus noble aussi. Mon atelier est situé à côté de la fonderie avec laquelle je travaille, à Crest, dans la Drôme. Je faisais tellement d’aller-retours quand j’habitais Rennes que j’ai fini par déménager. J’ai passé plus de trente ans dans la capitale bretonne.
La statue de Jean Prouff vient s’ajouter à d’autres de vos références dans la région…
La plupart de mes sculptures sont en Bretagne. J’ai notamment fait les statues des quatre vainqueurs bretons du Tour de France, Bernard Hinault, Louison Bobet, Jean Robic et Lucien Petit-Breton, qui sont à Carhaix, réalisées pour le passage du tour de France dans la ville. Sinon, j’ai fait des chanteuses, des personnages bretons célèbres. J’ai aussi réalisé la grande sculpture dans le hall d’accueil de la maison mère du Groupe Samsic, sponsor officiel du club. Christian Roulleau, le fondateur, était très content de ce que j’ai fait pour eux. Ça a demandé un an de travail.
aleroy.fr
(artiste découverte à l’occasion d’un événement de l’Association terre et flamme à Chantepie)